Un mot, comme un humain, naît quelque part; il a une histoire, une famille.
Parfois, on l’emprunte à une autre langue; parfois, il s’intègre dans l’usage. Il lui arrive même de conserver, dans son orthographe, une lettre qui nous semble inutile, mais qui sert de rappel pour retrouver ses origines ou sa lignée : un verbe, un adjectif, un nom, un adverbe. En fait, ses caprices existent pour nous aider à réfléchir sur la liste des possibilités qu’il offre. Il en va de même pour les mots qui demandent un accent circonflexe. Souvent décrié, voire sacrifié, ce petit chapeau nous guide pourtant pour en trouver d’autres, dans sa parenté, qui comportent un ancien S, disparu dans les manipulations de la langue ou circulant en anglais. S’attarder à retrouver des vocables de même souche consiste à voyager dans sa mémoire, mais permet aussi l’acquisition d’un vocabulaire précieux qui peut enrichir un texte ou une conversation. Explorer ses méandres s’avère parfois une ouverture sur un univers fascinant.
Des lettres à première vue inutiles :
Mais que fait cette lettre muette qui s’impose et ne sert à rien ? Attention ! Il n’y a rien pour rien, en général. Notre orthographe, sous des couverts fantasques, cache des secrets qui ne demandent qu’à se révéler. Ainsi, doigt, du latin digitus, nous amène à l’adjectif digital, en français, mais aussi au mot anglais digit; fusil permet de trouver le verbe fusiller et les noms fusillade, fusillé, fusiliers, fusilleur. Pour sa part, le nom sourcil nous entraine vers sourcillement, sourcilleux, sourciller, sourcilier alors que pouls nous mène dans le domaine de la pulsation, du pulseur et de ses variantes propulseur, hydropulseur dont le verbe pulser, tout autant que les adjectifs, sont tous issus d’une idée de circulation.
Quant au D, à la fin des mots, il pose souvent problème; pourtant, il peut rappeler son lignage : hasard/hasarder, hasardeux; vagabond/vagabonder, vagabondage; bond/bondir; friand/friandise; standard/standardiser, standardiste; pied/pédicure, podologue et même pedestrian. Il en va de même pour certains T : institut/institution, instituer; début/débuter, débutant; tribut/tributaire; cahot/cahoter, cahoteux; saint/sainteté. Même le B se met de la partie avec plomb/plomber, plombier. Quelques S muets en fin de mot tels que paradis/paradisiaque ou avis/aviser et vernis/vernissage peuvent s’avérer utiles pour éviter des répétitions dans un texte.
Et les accents circonflexes…
Les accents circonflexes font partie de l’histoire de la langue et de son évolution. Pour résumer, on dira que l’accent coiffe la dernière voyelle avant une syllabe muette comme pour pôle, jeûne, fantôme, arôme, infâme, entre autres. Mais si l’on se réfère à d’anciens textes français, là où se trouve aujourd’hui un accent circonflexe se trouvait alors un S : isle, estre, maistre. Ainsi, en évoquant certains Ê, on retrouve un S dans la lignée : fête/festin, festivité, festival, festif; bête/bestiaire, bestial, bestiaux; forêt/forestier, foresterie; fenêtre/fenestration, défenestrer; arrêt/arrestation; vêtir – vêtement/vestiaire, vestimentaire, vestibule; prêt/prestement, presto. On peut aussi rendre visite aux cousins anglais avec quête/quest qui peuvent conduire à question, questionnaire et même conquistador. Il en va de même pour d’autres voyelles qui ont hérité du petit chapeau : goût/gustatif, déguster; hôpital/hospitalier, hospitaliser; hôtel/hostellerie, hospitalité; côte/costal, accoster; épître/épistolaire, épistolier; bâton/bastonnade; île/insulaire, Islande; maître/maestro, maestria, voire master, tant apprécié des diplômés français.
Le plaisir de découvrir ces trésors étymologiques, telle une fouille archéologique, entraine souvent une marelle intellectuelle où chacun devient sujet à prospection. Ce même jeu, partagé avec des apprenants de tous niveaux linguistiques, peut aussi provoquer une meilleure compréhension de la langue et montrer à quel point celle-ci peut s’avérer voisine du latin ou de l’anglais, car il n’est pas rare d’y retrouver des mots qui ont une graphie similaire ou une prononciation toute proche. Et c’est ainsi que la « généalogie du français » devient un plaisir ludique. Dommage que les académiciens s’emploient à sabrer l’orthographe pour la rendre plus facile.
Patricia Robin
Enseignante Prolang - langue française